En 2025, plusieurs pays africains, dont l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan du Sud et l’Eswatini, ont signé des accords formels avec les États-Unis pour accueillir des migrants expulsés du territoire américain. Ces accords marquent un changement stratégique dans l’application des lois migratoires américaines et dans la diplomatie étrangère : les expulsions ne visent plus uniquement le pays d’origine du migrant, mais aussi des pays tiers jugés « sûrs » selon des arrangements bilatéraux. Bien que présentés comme des outils efficaces de contrôle migratoire, ces accords soulèvent des questions majeures sur les plans humanitaire, juridique et géopolitique.
L’Ouganda, l’un des pays qui accueille le plus de réfugiés en Afrique, a récemment accepté de participer à la réinstallation de migrants rejetés par les autorités américaines. Cela inclut des personnes qui, pour des raisons légales ou pratiques, ne peuvent pas être renvoyées dans leur pays d’origine. Le Rwanda a précisé que les individus ayant des condamnations pénales ainsi que les mineurs non accompagnés seraient exclus, comme dans les cadres précédemment signés avec d’autres partenaires.
La logique des réinstallations dans des pays tiers
Le Département américain de la standardisation de la sécurité intérieure présente ces accords comme une solution pragmatique au problème des migrants apatrides ou non expulsables. Ces arrangements permettent aux États-Unis d’éviter les conflits internationaux liés au rapatriement forcé, tout en ouvrant de nouvelles voies pour réduire la pression migratoire.
Cependant, ce modèle rappelle les relations controversées précédemment établies entre des pays européens et des États d’Afrique ou du Moyen-Orient. Il déplace le fardeau de la protection internationale vers des pays moins préparés, souvent confrontés à des contraintes structurelles et à une forte présence de populations déplacées. Par exemple, l’Ouganda abrite actuellement plus de 1,8 million de réfugiés — le plus grand nombre en Afrique.
Ambiguïtés juridiques et risques humanitaires
La pratique croissante des déportations vers des pays tiers soulève des enjeux juridiques. En 2025, la Cour suprême des États-Unis a validé le droit de déporter des migrants vers des États partenaires sans évaluation complète des risques encourus. Cette décision a suscité de vives critiques de la part d’organisations de défense des droits humains, qui y voient une remise en cause du principe de non-refoulement, fondement du droit international des réfugiés.
Les critiques alertent sur le manque de garanties procédurales pour les migrants concernés, qui risquent de se retrouver dans un état de précarité durable. Les pays d’accueil ne leur offrent souvent ni statut légal, ni accès au travail, ni perspectives d’intégration. N’étant pas citoyens de ces pays et sans liens familiaux ou sociaux, ces migrants deviennent vulnérables à l’exploitation, à l’apatridie, ou sont contraints de retourner dans des zones dangereuses.
Motivations diplomatiques africaines et contraintes internes
Les régimes africains qui signent de tels accords semblent motivés par des intérêts économiques, politiques et diplomatiques. Des partenariats sécuritaires, l’accès à l’aide internationale ou à des fonds de développement sont souvent liés à ces arrangements, parfois dans la plus grande opacité. Dans le cas du Rwanda, le gouvernement présente cette coopération comme une contribution à la gestion internationale des migrations.
Néanmoins, des observateurs s’inquiètent de la capacité réelle de ces États à accueillir durablement des migrants expulsés. L’Eswatini et le Soudan du Sud souffrent de graves problèmes de gouvernance et d’infrastructures, tandis que le Rwanda a déjà été critiqué pour son manque de transparence dans les politiques de réinstallation. Ces faits soulèvent des doutes sur la viabilité de tels accords, surtout pour les personnes les plus vulnérables.
Des positions divergentes au sein de l’Afrique
Tous les États africains ne soutiennent pas ces accords. Des pays à forte population, comme le Nigeria, ont publiquement rejeté les propositions américaines de relocalisation de migrants expulsés, invoquant des contraintes socio-économiques et des enjeux de sécurité nationale. Cette divergence illustre une tension croissante entre les pays africains quant à leur rôle dans la gestion migratoire mondiale — d’autant plus que les causes du déplacement sont souvent extérieures au continent.
Parallèlement, les sociétés civiles africaines et des réseaux régionaux expriment une opposition croissante à ces pratiques. Selon eux, l’Afrique ne doit pas devenir un territoire de délégation de la politique migratoire des pays riches. Cette dynamique complique le débat et limite la transparence démocratique, puisque nombre de ces accords échappent au contrôle parlementaire.
Les effets sur la gouvernance migratoire mondiale
L’application de ces accords s’inscrit dans une tendance mondiale à l’externalisation du contrôle migratoire. Les pays riches s’engagent dans des accords bilatéraux pour éloigner de leurs frontières les demandeurs d’asile ou les migrants déboutés. Bien que cela puisse apporter un soulagement temporaire aux pressions internes, cela contourne des solutions plus justes fondées sur les règles du droit international.
À l’échelle mondiale, on peut s’interroger sur l’impact de telles politiques sur les normes internationales. Lorsque des pays puissants normalisent l’externalisation de leur responsabilité migratoire, cela compromet l’intégrité du système international de protection. Les organisations humanitaires avertissent que ce précédent pourrait favoriser l’émergence d’initiatives similaires ailleurs, sapant les engagements pris dans le Pacte mondial pour les migrations et les accords apparentés.
Des voix alertent sur les conséquences imprévues
Le journaliste Larry Madowo a souligné que ces accords, bien que présentés comme bénéfiques pour toutes les parties, risquent d’institutionnaliser une forme de « dumping humain », où les populations vulnérables sont traitées comme des charges plutôt que comme des titulaires de droits. Il a également pointé la difficulté pour les pays africains d’imposer des conditions équitables face aux grandes puissances.
EXCLUSIVE: The Trump administration is “pressuring” African countries to accept deported criminals rejected by their own countries.
— Larry Madowo (@LarryMadowo) July 17, 2025
Nigeria & South Africa refused but small poor nations Eswatini & South Sudan were forced to accept pic.twitter.com/pn72IkMjgL
Une question éthique majeure pour les politiques migratoires des années 2020
La tendance à expulser les migrants des États-Unis vers des pays africains constitue l’un des défis éthiques les plus complexes de la politique migratoire contemporaine. Alors que les dirigeants américains et africains tentent de concilier intérêts diplomatiques et considérations humanitaires, l’expérience concrète des migrants et la capacité institutionnelle des pays d’accueil restent souvent ignorées.
La véritable question que doivent se poser les décideurs n’est pas seulement celle d’une gestion efficace des frontières, mais celle de la préservation de la dignité, de l’équité et de la responsabilité globale. À mesure que l’Afrique est de plus en plus impliquée dans la géopolitique de l’application des politiques migratoires, les enjeux dépassent les simples accords pour interroger la nature du système international que le XXIe siècle entend bâtir pour les plus vulnérables.