Charge ou opportunité ? Le rôle de l’Ouganda dans la stratégie d’expulsion par pays tiers des États-Unis

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Burden or Benefit? Uganda’s Role in the US Third-Country Deportation Strategy
Credit: Getty Images

L’Ouganda a conclu un accord avec les États-Unis d’Amérique pour accueillir des migrants expulsés, qui ne remplissent pas les conditions d’asile aux États-Unis et dont les pays d’origine ne peuvent pas les reprendre.

Ce tournant fait de l’Ouganda l’épicentre de la politique américaine mondiale de réexpulsion vers des pays tiers, une politique qui vise à transférer des migrants « difficiles à expulser » vers des pays volontaires. Bien que cet accord soit présenté comme une solution humanitaire temporaire, ses effets sur les dynamiques migratoires et sur la position internationale de l’Ouganda commencent à se faire sentir.

Le gouvernement ougandais a précisé que les personnes expulsées dans le cadre de ce programme feront l’objet d’un processus de sélection et que seules celles n’ayant pas de casier judiciaire seront acceptées. Les mineurs non accompagnés seront explicitement exclus. Les migrants concernés proviendront principalement de pays africains, afin d’assurer une certaine proximité démographique et culturelle, selon les autorités ougandaises. Les mécanismes juridiques, les modalités de séjour, ainsi que la coordination avec les autorités locales sont encore en cours de négociation.

Calculs diplomatiques derrière la décision de l’Ouganda

L’acceptation par l’Ouganda des migrants expulsés des États-Unis s’inscrit dans une stratégie diplomatique plus large. Le gouvernement de Kampala espère tirer profit de cette coopération sur le plan géopolitique et économique, notamment par l’obtention d’aides au développement, d’avantages commerciaux et de partenariats sécuritaires. Son engagement avec Washington pourrait également renforcer sa réputation d’acteur fiable en matière de sécurité internationale et de gouvernance migratoire — un axe politique que le président Yoweri Museveni poursuit depuis le début de son mandat.

Cet accord correspond aussi à la volonté des États-Unis de diversifier leurs destinations d’expulsion. Face aux obstacles juridiques et logistiques croissants pour rapatrier les migrants dans leur pays d’origine — souvent en crise ou non coopérants — les options de pays tiers permettent aux États-Unis d’étendre le champ de leur politique migratoire au-delà de leurs frontières. La disposition de l’Ouganda à coopérer répond à une exigence essentielle de la stratégie de contrôle migratoire de l’administration Biden.

Comparaison avec d’autres partenaires africains

L’Ouganda n’est pas seul à s’engager dans de telles stratégies. Le Rwanda et l’Eswatini ont signé des accords similaires, bien que de moindre ampleur. Le Rwanda y a ajouté des dispositifs de formation professionnelle et d’hébergement pour les expulsés, présentant l’accord comme un projet de développement lié à la migration. Contrairement au Rwanda, l’Ouganda fait déjà face à une pression migratoire plus forte : à la mi-2025, il hébergeait environ 1,7 million de réfugiés, principalement issus de conflits régionaux comme ceux du Soudan du Sud ou de la République démocratique du Congo.

Cette différence soulève des interrogations sur la capacité de l’Ouganda à gérer de nouveaux arrivants. Le gouvernement se réfère à son passé d’accueil de populations déplacées, mais le profil des expulsés américains ne correspond pas aux précédents cas de réfugiés humanitaires.

Enjeux humanitaires des relocalisations vers un pays tiers

L’incertitude grandit quant à la capacité de l’Ouganda à accueillir ces personnes expulsées, notamment sur leur statut juridique, leur logement, leur accès aux soins et leur intégration économique. Nombre de ces migrants sont expulsés à la suite de décisions contestées en matière d’asile ou pour des motifs administratifs. N’ayant aucun lien avec l’Ouganda, leur stabilité sociale et leurs perspectives à long terme sont compromises.

Les organisations de défense des droits humains craignent que ce type d’accords ne fragilise le régime international de protection des réfugiés en transférant la charge des populations les plus vulnérables à des pays peu préparés à les gérer. Sans procédures claires et garanties contraignantes, ces relocalisations pourraient conduire à des situations de déplacement prolongé, de détention arbitraire ou de résidences précaires sans protection légale.

Risques de tensions sociales et rejet

Sur le plan intérieur, l’Ouganda devra affronter d’éventuelles tensions sociales et politiques dues à la perception d’une « imposition étrangère ». Une mauvaise intégration ou une surcharge des services publics pourraient générer de l’opposition parmi la population, affectant ainsi la stabilité politique et la viabilité de l’accord. Bien que les Ougandais aient démontré leur résilience face aux flux de réfugiés, le cas des expulsés américains est perçu différemment, notamment à cause de sa politisation.

Les organisations humanitaires internationales recommandent aux États-Unis de soutenir ces accords par des investissements importants, incluant infrastructures de réinstallation, soutien psychosocial et aide juridique. Or, en août 2025, aucune information publique ne confirmait l’ampleur des investissements américains en Ouganda, soulevant la question de la suffisance des ressources.

Dynamiques régionales et réponses contrastées

La réponse africaine aux accords d’expulsion vers des pays tiers conclus avec les États-Unis reste divisée. Le Nigeria a décliné ce type d’accord, invoquant ses limites en matière d’accueil et la nécessité de se concentrer sur ses priorités nationales. Le Ghana et le Kenya sont en discussions, mais n’ont pas encore signé, préférant consulter leurs citoyens et évaluer attentivement les termes des propositions.

Ces divergences illustrent les différences de puissance économique, d’orientation diplomatique et de participation de la société civile entre les pays africains. L’Ouganda, cinquième pays le plus influent d’Afrique de l’Est, oscille entre alignement sur les priorités américaines et recherche de bénéfices concrets en matière de développement. Cela soulève la question du précédent que cela pourrait créer : celui d’une gouvernance migratoire de plus en plus externalisée et conditionnée par des échanges transactionnels.

Rôle des organisations internationales et surveillance

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) insistent sur la nécessité de garantir les droits des expulsés dans le cadre de ces transferts. Ils appellent à des processus rigoureux et à des normes minimales de bien-être. Ces agences sont en discussions avec les autorités ougandaises pour s’assurer du respect de ces engagements.

Cette personne s’est exprimée sur le sujet, en soulignant à la fois les enjeux humanitaires et les considérations diplomatiques autour du rôle de l’Ouganda :

Ce commentaire illustre la manière dont les choix politiques de l’Ouganda oscillent entre coopération internationale et responsabilité nationale, mettant en lumière les compromis complexes liés à l’accueil de migrants expulsés dans le cadre d’accords externes.

Un cas test pour les partenariats migratoires mondiaux

Le rôle de l’Ouganda dans la stratégie américaine d’expulsion vers des pays tiers va au-delà d’une simple relation bilatérale. Il constitue un cas d’étude dans l’évolution des partenariats migratoires mondiaux. Il pose des questions fondamentales sur la souveraineté, le devoir humanitaire et le partage équitable des responsabilités. Alors que les migrations forcées liées au climat, aux conflits et aux inégalités augmentent, les arrangements de type pays tiers risquent de se multiplier, surtout si les grandes puissances poursuivent l’externalisation de leurs contrôles frontaliers.

La viabilité et l’impact humain de ces accords dépendront de la capacité des pays comme l’Ouganda à intégrer les expulsés et du niveau de soutien apporté par les pays partenaires. À une échelle plus large, ce modèle met au défi les cadres de gouvernance migratoire qui défendent la dignité, l’équité et la procédure régulière.

L’évolution de la position de l’Ouganda pousse à réfléchir aux dynamiques de pouvoir qui déterminent qui paie le prix de la gestion migratoire mondiale. Que cette participation s’avère être un gain stratégique ou une charge humanitaire pourrait bien définir, non seulement le rôle international de l’Ouganda dans les années 2020, mais aussi les principes éthiques de la gestion des migrations transfrontalières à venir.

Research Staff

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