De la Défense à la Guerre : rebranding de l’armée américaine, rhétorique ou imprudence ?
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Credit: ghanaguardian.com
L’une des propositions les plus controversées du président Donald Trump en août 2025 est de rebaptiser le Département de la Défense des États-Unis en Département de la Guerre. Cette initiative a relancé le débat sur la manière dont les symboles et la perception de l’identité militaire influencent la politique étrangère américaine.
Selon Trump, le terme « Défense » ne reflète pas avec précision la posture stratégique réelle des États-Unis et masque leur disposition à recourir à la force militaire. « Nous voulons nous défendre, mais aussi être offensifs lorsque nécessaire », a-t-il déclaré, faisant référence à l’appellation utilisée entre 1789 et 1947.
La logique derrière ce changement s’appuie largement sur une nostalgie d’un âge d’or imaginaire des victoires militaires américaines. Lorsque Trump et l’actuel secrétaire à la Défense Pete Hegseth évoquent les succès des États-Unis lors des deux guerres mondiales, ils citent les traditions du Département de la Guerre. Leur discours présuppose qu’un retour symbolique à cette terminologie renforcerait la résilience américaine face aux menaces sécuritaires actuelles. Trump a même suggéré qu’il pourrait aller de l’avant sans passer par le Congrès, affirmant que « le peuple comprendra ce que je fais » et qu’il dispose d’un large soutien législatif à long terme.
Mémoire institutionnelle et contrôle civil
Le nom actuel « Département de la Défense » a été adopté en 1947 dans le cadre du National Security Act. Ce changement, voulu par l’administration Truman après les deux guerres mondiales et face à la menace nucléaire, visait à insister sur l’importance de la direction civile, de la dissuasion stratégique, et de la coopération internationale. Ce rebranding reflétait les priorités de la guerre froide : stabilité et crédibilité vis-à-vis des alliés comme des ennemis.
Des experts universitaires estiment que revenir à « Département de la Guerre » risquerait de saper ces réformes d’après-guerre. Le professeur Matthew J. Schmidt (University of New Haven) souligne que ce changement contredirait les engagements éthiques modernes de l’armée et pourrait modifier la manière dont la force est conceptualisée dans la doctrine stratégique américaine. Selon lui, les noms ont un poids institutionnel : ils influencent la culture, la planification et la perception, à l’intérieur comme à l’extérieur du Pentagone.
Le contrôle civil sur l’armée, pilier de l’organisation militaire américaine depuis 1945, pourrait également être remis en question si cette évolution est perçue comme un virage vers une posture sécuritaire plus agressive. Les critiques craignent que cette rhétorique n’indique un affaiblissement du multilatéralisme et une plus grande tolérance à l’unilatéralisme.
Débats au Congrès et réactions publiques
Tout changement de nom nécessiterait une approbation légale du Congrès, car le titre est inscrit dans le droit fédéral. Pourtant, certains alliés de Trump ont commencé à soutenir cette initiative. Le sénateur Mike Lee a présenté un projet de loi début août, affirmant que cette modification représente une restauration de la vérité historique et un réalisme militaire assumé.
« C’est le seul titre qui reflète vraiment l’ensemble des capacités militaires des États-Unis », a-t-il déclaré lors d’un débat parlementaire.
L’opinion publique reste divisée. Un sondage en ligne mené en avril 2025 par le secrétaire Hegseth a montré que 54 % des répondants soutenaient le retour au nom originel. Le soutien s’est accru après l’aval de personnalités telles qu’Elon Musk, qui a décrit cette initiative comme un retour à « l’honnêteté gouvernementale ». Mais au sein des anciens combattants, des historiens et d’anciens responsables du Pentagone, le scepticisme demeure. Certains estiment que cela pourrait nuire au recrutement et au moral, la nouvelle génération percevant l’armée comme un acteur humanitaire et de maintien de la paix.
Les réformes d’après-guerre visaient à prévenir l’aventurisme militaire et à rassurer le monde : les États-Unis veulent la paix par la force, non la guerre par la puissance. Renverser ce message pourrait modifier profondément la perception de l’engagement militaire chez les jeunes générations.
Signaux diplomatiques et répercussions mondiales
Changer le nom du Pentagone aurait d’importantes implications symboliques à l’échelle mondiale. Les alliés qui voient les États-Unis comme un facteur de stabilité pourraient interpréter cela comme un retrait de la diplomatie et du multilatéralisme. Certains diplomates de pays de l’OTAN, sous couvert d’anonymat, ont exprimé leur inquiétude face aux tensions que ce changement pourrait générer dans un contexte géopolitique déjà tendu : guerre en Europe de l’Est, rivalité en Indo-Pacifique et instabilité énergétique mondiale.
Ce virage rhétorique pourrait également renforcer la propagande des rivaux comme la Chine ou la Russie, en justifiant leur propre militarisation. Des analystes renseignent que ce changement d’image pourrait permettre aux adversaires de faire croire que les États-Unis se préparent à la guerre, compliquant les relations internationales et les efforts de contrôle des armements.
Ce qui importe dans ce contexte historique, c’est justement le contexte. La dénomination « Défense » adoptée en 1947 traduisait une nouvelle vision du leadership américain. Réactiver l’expression « Département de la Guerre » pourrait produire l’effet inverse : donner l’image d’un pays qui place la guerre au centre de son action internationale.
Motivations politiques et symbolisme
Derrière ce rebranding, on perçoit une stratégie plus large de l’entourage de Trump visant à reformuler l’identité des institutions publiques. Son discours de campagne critique fréquemment les structures jugées trop « molles » ou « woke ». Réintroduire le terme « Guerre » dans le langage officiel permettrait, selon lui, d’afficher une posture ferme et sans concession face à l’ennemi, en rupture avec la « faiblesse globaliste » des précédentes administrations.
Les partisans pensent que cette rhétorique renforce l’autorité des États-Unis sur la scène internationale. Les détracteurs y voient un risque : celui d’encourager des décisions militaires hasardeuses, sans les garde-fous nécessaires.
Le commentateur politique Rod D. Martin a résumé cette préoccupation de manière percutante :
« Le débat sur le nom ne relève pas de la simple sémantique – les mots véhiculent des intentions. Si nous insistons sur la guerre dans notre langage, nous l’insisterons aussi dans notre pratique. »
🚨 NO MORE ORWELLIAN NAMES: Trump Restores the Department of War
“It used to be called the Department of War. And we won everything.”
Trump just proposed re-renaming the ‘Department of Defense’—and going back to warfighters, not bureaucrats.
Sa remarque rappelle que les termes ne sont jamais neutres. Ils reflètent des choix, des orientations et influencent les perceptions autant que les politiques.
Une question durable sur l’identité militaire américaine
Le débat sur la transformation du Département de la Défense en Département de la Guerre reflète une fracture idéologique plus large aux États-Unis. D’un côté, ceux qui estiment qu’il faut assumer une force militaire visible et explicite, quitte à déranger les alliés ou à redéfinir les normes morales de l’action militaire. De l’autre, ceux qui prônent la diplomatie, la retenue, et l’importance du langage pour maintenir les équilibres internationaux.
Quel que soit le sort de cette proposition, qu’elle soit mise en œuvre ou abandonnée, elle marque l’ouverture d’une nouvelle ère dans le débat sur le pouvoir, la responsabilité et l’image des États-Unis. Ce débat ne reflète pas seulement la vision de Trump, mais aussi une tendance plus vaste à utiliser la rhétorique comme instrument stratégique. Entre fermeté et responsabilité, langage et action, ce sont ces tensions qui façonneront sans doute encore longtemps le discours militaire américain.